Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/337

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ivre de l’enfant. Il rassura sa mère néanmoins, cita en exemple plusieurs bambins de son âge qui venaient d’avoir des affections semblables et s’étaient vite guéris.

— « Vraiment ? »

— « Mais oui, bien sûr ! »

— « Oh ! comme vous êtes bon ! »

Et elle lui prit la main. Il l’étreignit dans la sienne.

— « Oh ! laissez-la. »

— « Qu’est-ce que cela fait, puisque c’est au consolateur que vous l’offrez !… Vous me croyez bien pour ces choses, et vous doutez de moi… quand je vous parle de mon amour ! »

— « Je n’en doute pas, mon pauvre ami ! »

— « Pourquoi cette défiance, comme si j’étais un misérable capable d’abuser !… »

— « Oh ! non !… »

— « Si j’avais seulement une preuve »

— « Quelle Preuve ? »

— « Celle qu’on donnerait au premier venu, celle que vous m’avez accordée à moi-même. »

Et il lui rappela qu’une fois ils étaient sortis ensemble, par un crépuscule d’hiver, un temps de brouillard. Tout cela était bien loin, maintenant ! Qui donc l’empêchait de se montrer à son bras, devant tout le monde, sans crainte de sa part, sans arrière-pensée de la sienne, n’ayant personne autour d’eux pour les importuner ?

— « Soit ! » dit-elle, avec une bravoure de décision qui stupéfia d’abord Frédéric.

Mais il reprit vivement :

— « Voulez-vous que je vous attende au coin de la rue Tronchet et de la rue de la Ferme ? »

— « Mon Dieu ! mon ami… », balbutiait Mme Arnoux.

Sans lui donner le temps de réfléchir, il ajouta :

— « Mardi prochain, je suppose ? »