Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/368

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par la démence universelle. Il écrivit un discours, et alla le faire voir à M. Dambreuse.

Au bruit de la grande porte qui retombait, un rideau s’entrouvrit derrière une croisée ; une femme y parut. Il n’eut pas le temps de la reconnaître ; mais, dans l’antichambre, un tableau l’arrêta, le tableau de Pellerin, posé sur une chaise, provisoirement sans doute.

Cela représentait la République, ou le Progrès, ou la Civilisation, sous la figure de Jésus-Christ conduisant une locomotive, laquelle traversait une forêt vierge. Frédéric, après une minute de contemplation, s’écria :

— « Quelle turpitude ! »

— « N’est-ce pas, hein ? » dit M. Dambreuse, survenu sur cette parole et s’imaginant qu’elle concernait non la peinture, mais la doctrine glorifiée par le tableau.

Martinon arriva au même moment. Ils passèrent dans le cabinet ; et Frédéric tirait un papier de sa poche, quand Mlle Cécile, entrant tout à coup, articula d’un air ingénu :

— « Ma tante est-elle ici ? »

— « Tu sais bien que non », répliqua le banquier. « N’importe ! faites comme chez vous, mademoiselle. »

— « Oh ! merci ! je m’en vais. »

À peine sortie, Martinon eut l’air de chercher son mouchoir.

— « Je l’ai oublié dans mon paletot, excusez-moi ! »

— « Bien ! » dit M. Dambreuse.

Évidemment, il n’était pas dupe de cette manœuvre, et même semblait la favoriser. Pourquoi ? Mais bientôt Martinon reparut, et Frédéric entama son discours. Dès la seconde page, qui signalait comme une honte la prépondérance des intérêts pécuniaires, le banquier fit la grimace. Puis, abordant les réformes, Frédéric demandait la liberté du commerce.

— « Comment… ? mais permettez ! »

L’autre n’entendait pas, et continua. Il réclamait l’impôt sur la rente, l’impôt progressif, une fédération