Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/390

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puya ses paroles : des Nogentais en députation s’étaient présentés chez lui.

— « D’ailleurs, j’ai cru être libre, du moment… »

Une poussée de monde sur le trottoir força M. Dambreuse à s’écarter. Une minute après, il reparut, en disant à Martinon :

— « C’est un vrai service, cela ! Vous n’aurez pas à vous repentir… »

Tous les trois s’adossèrent contre une boutique, afin de causer plus à l’aise.

On criait de temps en temps : « Vive Napoléon ! vive Barbès ! à bas Marie ! » La foule innombrable parlait très haut ; — et toutes ces voix, répercutées par les maisons, faisaient comme le bruit continuel des vagues dans un port. À de certains moments, elles se taisaient ; alors, la Marseillaise s’élevait. Sous les portes cochères, des hommes d’allures mystérieuses proposaient des cannes à dard. Quelquefois, deux individus, passant l’un devant l’autre, clignaient de l’œil, et s’éloignaient prestement. Des groupes de badauds occupaient les trottoirs ; une multitude compacte s’agitait sur le pavé. Des bandes entières d’agents de police, sortant des ruelles, y disparaissaient à peine entrés. De petits drapeaux rouges, çà et là, semblaient des flammes ; les cochers, du haut de leur siège, faisaient de grands gestes, puis s’en retournaient. C’était un mouvement, un spectacle des plus drôles.

— « Comme tout cela », dit Martinon, « aurait amusé Mlle Cécile ! »

— « Ma femme, vous savez bien, n’aime pas que ma nièce vienne avec nous », reprit en souriant M. Dambreuse.

On ne l’aurait pas reconnu. Depuis trois mois il criait « Vive la République ! » et même il avait voté le bannissement des d’Orléans. Mais les concessions devaient finir. Il se montrait furieux jusqu’à porter un casse-tête dans sa poche.