Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/438

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Elle le regarda froidement.

— « Vous oubliez l’autre ! Celle que vous promenez aux courses ! La femme dont vous avez le portrait, votre maîtresse ! »

— « Eh bien, oui ! » s’écria Frédéric, « Je ne nie rien Je suis un misérable ! écoutez-moi ! » S’il l’avait eue, c’était par désespoir, comme on se suicide. Du reste, il l’avait rendue fort malheureuse, pour se venger sur elle de sa propre honte. « Quel supplice ! Vous ne comprenez pas ? »

Mme Arnoux tourna son beau visage, en lui tendant la main ; et ils fermèrent les yeux, absorbés dans une ivresse qui était comme un bercement doux et infini. Puis ils restèrent à se contempler, face à face, l’un près de l’autre.

— « Est-ce que vous pouviez croire que je ne vous aimais plus ? »

Elle répondit d’une voix basse, pleine de caresses :

— « Non ! En dépit de tout, je sentais au fond de mon cœur que cela était impossible et qu’un jour l’obstacle entre nous deux s’évanouirait ! »

— « Moi aussi ! et j’avais des besoins de vous revoir, à en mourir ! »

— « Une fois », reprit-elle, « dans le Palais-Royal, j’ai suis passé à côté de vous ! »

— « Vraiment ? »

Et il lui dit le bonheur qu’il avait eu en la retrouvant chez les Dambreuse.

— « Mais comme je vous détestais le soir, en sortant de là ! »

— « Pauvre garçon ! »

— « Ma vie est si triste. »

— « Et la mienne !… S’il n’y avait que les chagrins, les inquiétudes, les humiliations, tout ce que j’endure comme épouse et comme mère, puisqu’on doit mourir, je ne me plaindrais pas ; ce qu’il y a d’affreux, c’est ma solitude, sans personne… »