Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/473

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nette s’aperçut qu’on l’enviait, et le dit à Frédéric avec fierté. Il fallait parler bas, cependant ; les cloisons étaient minces et tout le monde se tenait aux écoutes, malgré le bruit continuel des pianos.

Il allait enfin partir pour Nogent, quand il reçut une lettre de Deslauriers.

Deux candidats nouveaux se présentaient, l’un conservateur, l’autre rouge ; un troisième, quel qu’il fût, n’avait pas de chances. C’était la faute de Frédéric ; il avait laissé passer le bon moment, il aurait dû venir plus tôt, se remuer. « On ne t’a même pas vu aux comices agricoles ! » L’avocat le blâmait de n’avoir aucune attache dans les journaux. « Ah ! si tu avais suivi autrefois mes conseils ! Si nous avions une feuille publique à nous ! » Il insistait là-dessus. Du reste, beaucoup de personnes qui auraient voté en sa faveur, par considération pour M. Dambreuse, l’abandonneraient maintenant. Deslauriers était de ceux-là. N’ayant plus rien à attendre du capitaliste, il lâchait son protégé.

Frédéric porta sa lettre à Mme Dambreuse.

— « Tu n’as donc pas été à Nogent ? » dit-elle.

— « Pourquoi ? »

— « C’est que j’ai vu Deslauriers il y a trois jours. »

Sachant la mort de son mari, l’avocat était venu rapporter des notes sur les houilles et lui offrir ses services comme homme d’affaires. Cela parut étrange à Frédéric ; et que faisait son ami, là-bas ?

Mme Dambreuse voulut savoir l’emploi de son temps depuis leur séparation.

— « J’ai été malade », répondit-il.

— « Tu aurais dû me prévenir, au moins. »

— « Oh ! cela n’en valait pas la peine » ; d’ailleurs, il avait eu une foule de dérangements, des rendez-vous, des visites.

Il mena dès lors une existence double, couchant religieusement chez la Maréchale et passant l’après-midi