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Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/279

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première version

gauche, comme un chameau qui est lâché dans un champ de maïs.

Pour délivrer Israël, je choisissais les simples. Des anges aux ailes de flammes leur parlaient dans les buissons ; les pâtres jetaient leur bâton et partaient à la guerre. Parfumées de nard, de cinnamone et de myrrhe, avec des robes transparentes et des chaussures à talon haut, des femmes pleines d’un cœur intrépide allaient trouver les capitaines et leur tranchaient la tête. Alors ma gloire éclatait plus sonore que les cymbales. Au retentissement de la foudre, elle a grondé sur les montagnes ; le vent qui passait emportait les prophètes ; ils se roulaient tout nus dans les ravines desséchées, ils se couchaient à plat ventre pour écouter la voix de la mer, et, se relevant tout à coup, se mettaient à crier mon nom.

Ils arrivaient la nuit dans la salle des rois, ils secouaient sur les tapis du trône la poussière de leurs manteaux, et, rappelant mes vengeances parlaient de Babylone et des soufflets de l’esclavage. Les lions pour eux se faisaient doux, la flamme des fournaises s’écartait de leurs corps, et les magiciens, hurlant de rage, se lacéraient avec des couteaux.

J’avais gravé ma loi sur des tables de pierre : elle étreignait mon peuple, comme la ceinture du voyageur, qui lui soutient la taille. C’était mon peuple, — j’étais son Dieu ! La terre était à moi, les hommes étaient à moi, leurs pensées,