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la tentation de saint antoine

L’ORGUEIL

Qu’il est beau, le vainqueur, entrant dans des villes, au son des cuivres, quand on monte sur les maisons pour voir son visage !

ANTOINE

J’étais trop faible pour porter la cuirasse !

LA LOGIQUE

Tu portes bien le cilice !

L’ORGUEIL

Si l’orgueil de ta dévotion ne t’avait pas jeté tout enfant dans l’ignorance qui t’enferme, tu serais un sage, un docteur ; tu pourrais, accroupi au pied des colonnes, et, déroulant sur tes genoux les écrits des sages, suivre du doigt dans l’histoire la marche des empires, dans les cieux la course des planètes ! Ta vie, doucement, se fût écoulée en lisant et comme un livre elle-même, dont les jours auraient fui plus rapides que des phrases, sans t’inquiéter du tout de la quantité des pages qu’il te restait à tourner…

La science, aussi, a des spasmes fous et des enchantements sans fin. Depuis qu’ils sont à la traire, aucun homme encore n’a tari sa mamelle.