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Page:Flaubert - La Première Tentation de Saint Antoine, éd. Bertrand, 1908.djvu/317

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fragments

Où sont-elles maintenant, toutes les femmes qui furent aimées, celles qui mettaient des anneaux d’or pour plaire à leurs maris ; les vierges aux joues roses qui brodaient des tissus, et les reines qui se faisaient, au clair de lune, porter près des fontaines ? Elles avaient des tapis, des éventails, des esclaves, des musiques amoureuses jouant tout à coup derrière les murs. Elles avaient des dents luisantes qui mordaient à même dans les grenades et des vêtements lâches qui embaumaient l’air autour d’elles… Où sont-ils les forts jeunes hommes qui couraient si bien, qui riaient si haut, qui avaient la barbe noire et l’œil ardent ?… Qu’est devenue la cire des torches qui éclairaient leurs festins ?

Oh ! comme il en a passé, de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, de ces vieillards aussi ! Il y a de grands déserts, où la perdrix rouge, maintenant, ne trouverait pas à manger et qui ont contenu des capitales… Les chars roulaient, on criait sur les places !… Je me suis assise sur les temples, ils ont croulé ! De l’épaule, en passant, j’ai renversé les obélisques. À coups de fouet, j’ai chassé devant moi, comme des chèvres, les générations effarées…

 

Plus d’un couple ami a causé de moi bien souvent, seuls près du foyer, dont ils remuaient les cendres, tout en se demandant ce qu’ils deviendraient plus tard. Mais celui qui s’en est allé ne revient point pour dire à l’autre s’ils s’étaient