Page:Flaubert - Lettres de Gustave Flaubert a George Sand.djvu/96

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car son âme était naturellement joyeuse et son cœur plein d’élans généreux. Il aimait vivre enfin, et il vivait pleinement, sincèrement, comme on vit avec le tempérament français, chez qui la mélancolie ne prend jamais l’allure désolée qu’elle a chez certains Allemands et chez certains Anglais.

Et puis ne suffit-il pas, pour aimer la vie, d’une longue et puissante passion ? Il l’eut, cette passion, jusqu’à sa mort. Il avait donné, dès sa jeunesse, tout son cœur aux lettres, et il ne le reprit jamais. Il usa son existence dans cette tendresse immodérée, exaltée, passant des nuits fiévreuses, comme les amants, frémissant d’ardeur, défaillant de fatigue après ces heures d’amour épuisant et violent, et repris, chaque matin, dès le réveil, par le besoin de la bien-aimée.

Un jour enfin, il tomba, foudroyé, contre le pied de sa table de travail, tué par elle, la Littérature, tué comme tous les grands passionnés que dévore toujours leur passion.

GUY DE MAUPASSANT.