Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/290

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les ténèbres, lui paraissait démesurée, infinie, insoulevable ; et précisément à cause de cela son désir redoublait. Mais, la peur de faire trop et de ne pas faire assez lui ôtait tout discernement.

« Si je lui déplais, pensait-il, qu’elle me chasse ! Si elle veut de moi, qu’elle m’encourage ! »

Il dit en soupirant :

— Donc, vous n’admettez pas qu’on puisse aimer… une femme ?

Mme Arnoux répliqua :

— Quand elle est à marier, on l’épouse ; lorsqu’elle appartient à un autre, on s’éloigne.

— Ainsi le bonheur est impossible ?

— Non ! mais on ne le trouve jamais dans le mensonge, les inquiétudes et le remords.

— Qu’importe ! s’il est payé par des joies sublimes.

— L’expérience est trop coûteuse !

Il voulut l’attaquer par l’ironie.

— La vertu ne serait donc que de la lâcheté ?

— Dites de la clairvoyance, plutôt. Pour celles même qui oublieraient le devoir ou la religion, le simple bon sens peut suffire. L’égoïsme fait une base solide à la sagesse.

— Ah ! quelles maximes bourgeoises vous avez !

— Mais je ne me vante pas d’être une grande dame !

À ce moment-là, le petit garçon accourut.

— Maman, viens-tu dîner ?

— Oui, tout à l’heure !

Frédéric se leva ; en même temps Marthe parut.