Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/336

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bart détestait « les mijaurées » et tenait avant tout au positif. La conclusion fournie par le marchand de faïence fut qu’on ne devait pas traiter les femmes sérieusement.

« Cependant il aime la sienne ! », songeait Frédéric, en s’en retournant ; et il le trouvait un malhonnête homme. Il lui en voulait de ce duel, comme si c’eût été pour lui qu’il avait, tout à l’heure, risqué sa vie.

Mais il était reconnaissant à Dussardier de son dévouement ; le commis, sur ses instances, arriva bientôt à lui faire une visite tous les jours.

Frédéric lui prêtait des livres : Thiers52, Dulaure53, Barante54, les Girondins55 de Lamartine. Le brave garçon l’écoutait avec recueillement et acceptait ses opinions comme celles d’un maître.

Il arriva un soir tout effaré.

Le matin, sur le boulevard, un homme qui courait à perdre haleine s’était heurté contre lui ; et, l’ayant reconnu pour un ami de Sénécal, lui avait dit :

— On vient de le prendre, je me sauve !

Rien de plus vrai. Dussardier avait passé la journée aux informations. Sénécal était sous les verrous, comme prévenu d’attentat politique.

Fils d’un contremaître, né à Lyon et ayant eu pour professeur un ancien disciple de Chalier, dès son arrivée à Paris, il s’était fait recevoir de la Société des Familles56, ses habitudes étaient connues ; la police le surveillait. Il s’était battu dans l’affaire de mai 183957 ; et, depuis lors, se tenait à l’ombre, mais s’exaltant de plus en plus, fanatique d’Alibaud58, mêlant ses griefs contre la société à ceux du peuple contre la monarchie, et