Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/398

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l’heure où il avait coutume d’y venir. Ce fut, pour lui, comme une trahison.

Il se fâcha ensuite de voir les fleurs qu’il apportait toujours plantées dans un verre d’eau.

— Où voulez-vous donc qu’elles soient ?

— Oh ! pas là ! Du reste, elles y sont moins froidement que sur votre cœur.

Quelque temps après, il lui reprocha d’avoir été la veille aux Italiens, sans le prévenir. D’autres l’avaient vue, admirée, aimée peut-être ; Frédéric s’attachait à ses soupçons uniquement pour la quereller, la tourmenter ; car il commençait à la haïr, et c’était bien le moins qu’elle eût une part de ses souffrances !

Une après-midi (vers le milieu de février), il la surprit fort émue. Eugène se plaignait de mal à la gorge. Le docteur avait dit pourtant que ce n’était rien, un gros rhume, la grippe. Frédéric fut étonné par l’air ivre de l’enfant. Il rassura sa mère néanmoins, cita en exemple plusieurs bambins de son âge qui venaient d’avoir des affections semblables et s’étaient vite guéris.

— Vraiment ?

— Mais oui, bien sûr !

— Oh ! comme vous êtes bon !

Et elle lui prit la main. Il l’étreignit dans la sienne.

— Oh ! laissez-la.

— Qu’est-ce que cela fait, puisque c’est au consolateur que vous l’offrez !… Vous me croyez bien pour ces choses, et vous doutez de moi… quand je vous parle de mon amour !

— Je n’en doute pas, mon pauvre ami !

— Pourquoi cette défiance, comme si j’étais un misérable capable d’abuser !…