Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/111

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assemblés. Quand Charles lui raconta, le soir, cette anecdote, Emma s’emporta bien haut contre le confrère. Charles en fut attendri. Il la baisa au front avec une larme. Mais elle était exaspérée de honte, elle avait envie de le battre, elle alla dans le corridor ouvrir la fenêtre et huma l’air frais pour se calmer.

— Quel pauvre homme ! quel pauvre homme ! disait-elle tout bas, en se mordant les lèvres.

Elle se sentait, d’ailleurs, plus irritée de lui. Il prenait, avec l’âge, des allures épaisses ; il coupait, au dessert, le bouchon des bouteilles vides ; il se passait, après manger, la langue sur les dents ; il faisait, en avalant sa soupe, un gloussement à chaque gorgée, et, comme il commençait d’engraisser, ses yeux, déjà petits, semblaient remonter vers les tempes par la bouffissure de ses pommettes.

Emma, quelquefois, lui rentrait dans son gilet la bordure rouge de ses tricots, rajustait sa cravate, ou jetait à l’écart les gants déteints qu’il se disposait à passer ; et ce n’était pas, comme il croyait, pour lui ; c’était pour elle-même, par expansion d’égoïsme, agacement nerveux. Quelquefois aussi, elle lui parlait des choses qu’elle avait lues, comme d’un passage de roman, d’une pièce nouvelle, ou de l’anecdote du grand monde que l’on racontait dans le feuilleton ; car, enfin, Charles était quelqu’un, une oreille toujours ouverte, une approbation toujours prête. Elle faisait bien des confidences à sa levrette ! Elle en eût fait aux bûches de la cheminée et au balancier de la pendule.

Au fond de son âme, cependant, elle attendait