Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/127

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

L’Hirondelle est capable de la défoncer en arrivant ! Appelle Polyte pour qu’il la remise !… Dire que, depuis le matin, monsieur Homais, ils ont peut-être fait quinze parties et bu huit pots de cidre !… Mais ils vont me déchirer le tapis, continuait-elle en les regardant de loin, son écumoire à la main.

— Le mal ne serait pas grand, répondit M. Homais, vous en achèteriez un autre.

— Un autre billard ! exclama la veuve.

— Puisque celui-là ne tient plus, madame Lefrançois ; je vous le répète, vous vous faites tort ! vous vous faites grand tort ! Et puis les amateurs, à présent, veulent des blouses étroites et des queues lourdes. On ne joue plus la bille ; tout est changé ! Il faut marcher avec son siècle ! Regardez Tellier, plutôt…

L’hôtesse devint rouge de dépit. Le pharmacien ajouta :

— Son billard, vous avez beau dire, est plus mignon que le vôtre ; et qu’on ait l’idée, par exemple, de monter une poule patriotique pour la Pologne ou les inondés de Lyon…

— Ce ne sont pas des gueux comme lui qui nous font peur ! interrompit l’hôtesse, en haussant ses grosses épaules. Allez ! allez ! monsieur Homais, tant que le Lion d’or vivra, on y viendra. Nous avons du foin dans nos bottes, nous autres ! Au lieu qu’un de ces matins vous verrez le Café français fermé, et, avec une belle affiche sur les auvents ! Changer mon billard, continuait-elle en se parlant à elle-même, lui qui m’est si commode pour ranger ma lessive, et sur lequel, dans le temps de la chasse, j’ai mis coucher jusqu’à six