Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/171

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— Comme j’ai été sage ! se disait-elle en songeant aux écharpes.

Elle entendit des pas dans l’escalier : c’était Léon. Elle se leva, et prit sur la commode, parmi des torchons à ourler, le premier de la pile. Elle semblait fort occupée quand il parut.

La conversation fut languissante. Mme Bovary l’abandonnant à chaque minute, tandis qu’il demeurait lui-même comme tout embarrassé. Assis sur une chaise basse, près de la cheminée, il faisait tourner dans ses doigts l’étui d’ivoire ; elle poussait son aiguille, ou, de temps à autre, avec son ongle, fronçait les plis de la toile. Elle ne parlait pas ; il se taisait, captivé par son silence, comme il l’eût été par ses paroles.

— Pauvre garçon ! pensait-elle.

— En quoi lui déplais-je ? se demandait-il.

Léon, cependant, finit par dire qu’il devait, un de ces jours, aller à Rouen, pour une affaire de son étude.

— Votre abonnement de musique est terminé, dois-je le reprendre ?

— Non, répondit-elle.

— Pourquoi ?

— Parce que…

Et, pinçant ses lèvres, elle tira lentement une longue aiguillée de fil gris.

Cet ouvrage irritait Léon. Les doigts d’Emma semblaient s’y écorcher par le bout ; il lui vint en tête une phrase galante, mais qu’il ne risqua pas.

— Vous l’abandonnez donc ? reprit-il.

— Quoi ? dit-elle vivement ; la musique ? Ah ! mon Dieu, oui ! n’ai-je pas ma maison à tenir,