Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/174

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toujours silencieuse maintenant, ne semblait-elle pas traverser l’existence en y touchant à peine, et porter au front la vague empreinte de quelque prédestination sublime ? Elle était si triste et si calme, si douce à la fois et si réservée, que l’on se sentait près d’elle pris par un charme glacial, comme l’on frissonne dans les églises sous le parfum des fleurs mêlé au froid des marbres. Les autres même n’échappaient point à cette séduction. Le pharmacien disait :

— C’est une femme de grands moyens et qui ne serait pas déplacée dans une sous-préfecture.

Les bourgeoises admiraient son économie, les clients sa politesse, les pauvres sa charité.

Mais elle était pleine de convoitises, de rage, de haine. Cette robe aux plis droits cachait un cœur bouleversé, et ces lèvres si pudiques n’en racontaient pas la tourmente. Elle était amoureuse de Léon, et elle recherchait la solitude, afin de pouvoir plus à l’aise se délecter en son image. La vue de sa personne troublait la volupté de cette méditation. Emma palpitait au bruit de ses pas ; puis, en sa présence, l’émotion tombait, et il ne lui restait ensuite qu’un immense étonnement qui se finissait en tristesse.

Léon ne savait pas, lorsqu’il sortait de chez elle désespéré, qu’elle se levait derrière lui, afin de le voir dans la rue. Elle s’inquiétait de ses démarches ; elle épiait son visage ; elle inventa toute une histoire pour trouver prétexte à visiter sa chambre. La femme du pharmacien lui semblait bien heureuse de dormir sous le même toit ; et ses pensées continuellement s’abattaient sur cette maison, comme les pigeons du Lion d’or qui ve-