Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/217

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

sentiment, les tyrannies de l’art, et toujours un certain mépris des conventions sociales, ce qui le séduit ou l’exaspère. Ainsi, sa chemise de batiste à manchettes plissées bouffait au hasard du vent, dans l’ouverture de son gilet, qui était de coutil gris, et son pantalon à larges raies découvrait aux chevilles ses bottines de nankin, claquées de cuir verni. Elles étaient si vernies, que l’herbe s’y reflétait. Il foulait avec elles les crottins de cheval, une main dans la poche de sa veste et son chapeau de paille mis de côté.

— D’ailleurs, ajouta-t-il, quand on habite la campagne…

— Tout est peine perdue, dit Emma.

— C’est vrai ! répliqua Rodolphe. Songer que pas un seul de ces braves gens n’est capable de comprendre même la tournure d’un habit !

Alors ils parlèrent de la médiocrité provinciale, des existences qu’elle étouffait, des illusions qui s’y perdaient.

— Aussi, disait Rodolphe, je m’enfonce dans une tristesse…

— Vous ! fit-elle avec étonnement. Mais je vous croyais très gai ?

— Ah ! oui, d’apparence, parce qu’au milieu du monde je sais mettre sur mon visage un masque railleur ; et cependant que de fois, à la vue d’un cimetière, au clair de lune, je me suis demandé si je ne ferais pas mieux d’aller rejoindre ceux qui sont à dormir…

— Oh ! Et vos amis ? dit-elle. Vous n’y pensez pas.

— Mes amis ? lesquels donc ? en ai-je ? Qui s’inquiète de moi ?