Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/372

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peu à peu tout apitoiement de son cœur. Il lui semblait chétif, faible, nul, enfin être un pauvre homme, de toutes les façons. Comment se débarrasser de lui ? Quelle interminable soirée ! Quelque chose de stupéfiant comme une vapeur d’opium l’engourdissait.

Ils entendirent dans le vestibule le bruit sec d’un bâton sur les planches. C’était Hippolyte qui apportait les bagages de Madame. Pour les déposer, il décrivit péniblement un quart de cercle avec son pilon.

— Il n’y pense même plus ! se disait-elle en regardant le pauvre diable, dont la grosse chevelure rouge dégouttait de sueur.

Bovary cherchait un patard au fond de sa bourse ; et, sans paraître comprendre tout ce qu’il y avait pour lui d’humiliation dans la seule présence de cet homme qui se tenait là, comme le reproche personnifié de son incurable ineptie :

— Tiens ! tu as un joli bouquet ! dit-il en remarquant sur la cheminée les violettes de Léon.

— Oui, fit-elle avec indifférence ; c’est un bouquet que j’ai acheté tantôt… à une mendiante.

Charles prit les violettes, et, rafraîchissant dessus ses yeux tout rouges de larmes, il les humait délicatement. Elle les retira vite de sa main, et alla les porter dans un verre d’eau.

Le lendemain, Mme Bovary mère arriva. Elle et son fils pleurèrent beaucoup. Emma, sous prétexte d’ordres à donner, disparut.

Le jour d’après, il fallut aviser ensemble aux affaires de deuil. On alla s’asseoir, avec les boîtes à ouvrage, au bord de l’eau, sous la tonnelle.

Charles pensait à son père, et il s’étonnait de