Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/422

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— Est-ce beau ! disait Lheureux ; on s’en sert beaucoup maintenant, comme têtes de fauteuils, c’est le genre.

Et, plus prompt qu’un escamoteur, il enveloppa la guipure de papier bleu et la mit dans les mains d’Emma.

— Au moins, que je sache… ?

— Ah ! plus tard, reprit-il en lui tournant les talons.

Dès le soir, elle pressa Bovary d’écrire à sa mère pour qu’elle leur envoyât bien vite tout l’arriéré de l’héritage. La belle-mère répondit n’avoir plus rien : la liquidation était close, et il leur restait, outre Barneville, six cents livres de rente, qu’elle leur servirait exactement.

Alors Madame expédia des factures chez deux ou trois clients, et bientôt usa largement de ce moyen, qui lui réussissait. Elle avait toujours soin d’ajouter en post-scriptum : « N’en parlez pas à mon mari, vous savez comme il est fier… Excusez-moi… Votre servante… » Il y eut quelques réclamations ; elle les intercepta.

Pour se faire de l’argent, elle se mit à vendre ses vieux gants, ses vieux chapeaux, la vieille ferraille ; et elle marchandait avec rapacité, — son sang de paysanne la poussant au gain. Puis, dans ses voyages à la ville, elle brocantait des babioles, que M. Lheureux, à défaut d’autres, lui prendrait certainement. Elle s’acheta des plumes d’autruche, de la porcelaine chinoise et des bahuts ; elle empruntait à Félicité, à Mme Lefrançois, à l’hôtelière de la Croix-Rouge, à tout le monde, n’importe où. Avec l’argent qu’elle reçut enfin de Barneville, elle paya deux billets ; les