Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/504

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éperdu, fou. Il découvrit une boîte, la défonça d’un coup de pied. Le portrait de Rodolphe lui sauta en plein visage, au milieu des billets doux bouleversés.

On s’étonna de son découragement. Il ne sortait plus, ne recevait personne, refusait même d’aller voir ses malades. Alors on prétendit qu’il s’enfermait pour boire.

Quelquefois pourtant, un curieux se haussait par-dessus la haie du jardin, et apercevait avec ébahissement cet homme à barbe longue, couvert d’habits sordides, farouche, et qui pleurait tout haut en marchant.

Le soir, dans l’été, il prenait avec lui sa petite fille et la conduisait au cimetière. Ils s’en revenaient à la nuit close, quand il n’y avait plus d’éclairé sur la place que la lucarne de Binet.

Cependant la volupté de sa douleur était incomplète, car il n’avait autour de lui personne qui la partageât ; et il faisait des visites à la mère Lefrançois afin de pouvoir parler d’elle. Mais l’aubergiste ne l’écoutait que d’une oreille, ayant comme lui des chagrins, car M. Lheureux venait enfin d’établir les Favorites du commerce, et Hivert, qui jouissait d’une grande réputation pour les commissions, exigeait un surcroît d’appointements et menaçait de s’engager « à la concurrence ».

Un jour qu’il était allé au marché d’Argueil pour y vendre son cheval, — dernière ressource, — il rencontra Rodolphe.

Ils pâlirent en s’apercevant. Rodolphe, qui avait seulement envoyé sa carte, balbutia d’abord quelques excuses, puis s’enhardit et même poussa l’aplomb (il faisait très chaud, on était au mois