Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/557

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nure sur une copie, une couche de couleur sur un trompe-l’œil. Là est l’écueil de M. Gustave Flaubert. Il faut avoir le courage de son talent et de sa vocation. L’auteur de Madame Bovary vise au vrai, soit ! qu’il s’applique toujours avec netteté et précision. L’excès de la couleur n’est pas la même chose que sa justesse. L’affection du langage s’allie mal à la dureté du trait. Drapés dans cette défroque du romantisme, les personnages de M. Flaubert, si peu flattés du côté moral, ressemblent parfois à ces intrigants des vieilles comédies qu’on voit courant les ruelles, couverts de paillettes et de broderies d’emprunt. Dans Mme Bovary, si elle peut vieillir, il y a tout l’avenir d’une marchande à la toilette…


… Si la compagnie de M. Baudelaire est mauvaise, celle de M. Flaubert est très bonne, je ne connais pas de plus beau roman[1] depuis Balzac.

Taine, Lettre à J. J. Weiss. (Correspondance, II, Hachette, édit.)
Le Constitutionnel, 10 mai 1857 (Paulin Limayrac). — Des causes et des effets dans notre situation littéraire.

… Et voici précisément que j’arrive à la phrase de M. de Sainte-Beuve, dans son article de lundi dernier, à propos du premier roman d’un jeune auteur : « L’ouvrage, en tout, porte bien le cachet de l’heure où il a paru. Commencé, dit-on, depuis plusieurs années, il vient à point en ce moment. C’est bien un livre à lire en sortant d’entendre le dialogue net et acéré d’une comédie d’Alexandre Dumas fils, ou d’applaudir Les Faux Bonshommes, entre deux articles de Taine. Car, en bien des endroits et sous des formes diverses, je crois reconnaître des signes littéraires nouveaux : science, esprit d’observation, maturité, force, un peu de dureté. Ce sont les caractères que semblent affecter les chefs de file des générations nouvelles. »

Mais me suis-je alarmé à tort ?

N’y aurait-il pas une fine ironie sous ce jugement étrange ?

Serait-il bien possible que Madame Bovary, le Demi-Monde et deux articles de M. Taine parussent à M. de Sainte-Beuve toute une littérature armée de pied en cap et ouvrant la marche aux jeunes générations ? C’est peu vraisemblable… Certes, je ne conteste ni l’esprit ni le talent de MM. Flaubert, Dumas fils et

  1. Madame Bovary.