Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/581

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du moins qui laissent après eux, dans l’histoire de la littérature d’un siècle, une trace profondément empreinte…

Avant tout et par-dessus tout, Flaubert fut un artiste : artiste par ses qualités, artiste par ses défauts… Car, il serait bien facile de le démontrer, ce que la plupart de nos romanciers savent le moins, quoi qu’ils en disent, ne vous y trompez pas : c’est leur métier. Flaubert savait le sien, il le savait admirablement ; et non content de le savoir, il l’a vraiment enrichi, étendu et perfectionné. En ce sens — qui est le sens étroit du mot — Flaubert est incontestablement un maître. Et puisqu’on a si souvent rapproché son nom de celui de Balzac, il est maître à bien plus juste titre que l’auteur de la Comédie humaine

Vous ne trouverez pas dans la littérature contemporaine beaucoup de pages d’une substance plus forte, ou d’un éclat plus solide, ou d’une beauté plus classique. C’est dommage seulement qu’on n’en rencontre pas davantage, même dans Madame Bovary. On voit par quel concours de circonstances, par quel accord de qualités, et sous l’empire de quelle inspiration « subie » Madame Bovary est devenue ce qu’elle est dans l’œuvre de Flaubert, et ce qu’on peut croire qu’elle demeurera dans l’histoire de la littérature contemporaine, un livre capital.

Ferdinand Brunetière (Le Roman naturaliste,
Calman Lévy, édit.).

Il travailla comme un bœuf. Sa patience, son courage, sa bonne foi, sa probité resteront à jamais exemplaires. C’est le plus consciencieux des écrivains. Sa correspondance témoigne de la sincérité, de la continuité de ses efforts. Il faut admirer, il faut vénérer cet homme de beaucoup de foi, qui dépouilla par un travail obstiné et par le zèle du beau ce que son esprit avait naturellement de lourd et de confus, qui sua lentement ses superbes livres et fit aux lettres le sacrifice méthodique de sa vie entière.

Anatole France (La Vie littéraire, II,
Calman Lévy, édit.).

… Je l’ai dit, la publication de Madame Bovary fut un événement considérable. Le sujet du livre pourtant, l’intrigue, était des moins romanesques. Mais il faut lire l’œuvre toute palpitante de vie. Il y a des morceaux célèbres, des morceaux qui sont devenus classiques… Toute l’œuvre d’ailleurs, jusqu’aux moindres incidents, a un intérêt poignant, un intérêt nouveau, inconnu jusqu’à ce livre, l’intérêt du réel, du drame côtoyé tous les jours. Cela nous prend aux entrailles avec une puissance invincible… Je l’ai dit, le succès de Madame Bovary fut foudroyant. D’une semaine à l’autre, Gustave Flaubert fut connu, célébré, acclamé. Il n’y a pas d’autre exemple, dans ce siècle, à notre époque où vingt volumes répandent à peine le nom d’un auteur, d’une répu-