Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/630

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
 Les corrections sont expliquées en page de discussion

hélas ! elle va payer bientôt la rançon de l’adultère ; et cette rançon vous la trouverez terrible, à quelques pages plus loin de l’ouvrage que vous incriminez. Elle a cherché le bonheur dans l’adultère, la malheureuse ! Et elle y a trouvé, outre le dégoût et la fatigue que la monotonie du mariage peut donner à une femme qui ne marche pas dans la voie du devoir, elle y a trouvé la désillusion, le mépris de l’homme auquel elle s’était livrée. Est-ce qu’il manque quelque chose à ce mépris ? Oh non ! et vous ne le nierez pas, le livre est sous vos yeux : Rodolphe, qui s’est révélé si vil, lui donne une dernière preuve d’égoïsme et de lâcheté. Elle lui dit : « Emmène-moi ! Enlève-moi ! J’étouffe, je ne puis plus respirer dans la maison de mon mari, dont j’ai fait la honte et le malheur. » Il hésite ; elle insiste ; enfin il promet, et le lendemain elle reçoit de lui une lettre foudroyante, sous laquelle elle tombe, écrasée, anéantie. Elle tombe malade, elle est mourante. La livraison qui suit vous la montre dans toutes les convulsions d’une âme qui se débat, qui peut-être serait ramenée au devoir par l’excès de sa souffrance, mais malheureusement elle rencontre bientôt l’enfant avec lequel elle avait joué quand elle était inexpérimentée. Voilà le mouvement du roman, et puis vient l’expiation.

Mais M. l’Avocat impérial m’arrête et me dit : quand il serait vrai que le but de l’ouvrage soit bon d’un bout à l’autre, est-ce que vous pouviez vous permettre des détails obscènes, comme ceux que vous vous êtes permis ?

Très certainement, je ne pouvais pas me permettre de tels détails, mais m’en suis-je permis ? Où sont-ils ? J’arrive ici aux passages les plus incriminés. Je ne parle plus de l’aventure du fiacre, le tribunal a eu satisfaction à cet égard ; j’arrive aux passages que vous avez signalés comme contraires à la morale publique et qui forment un certain nombre de pages du numéro du 1er décembre ; et pour faire disparaître tout l’échafaudage de votre accusation, je n’ai qu’une chose à faire : restituer ce qui précède et ce qui suit vos citations, substituer, en un mot, le texte complet à vos découpures.

Au bas de la page 72[1], Léon, après avoir été mis en rapport avec Homais le pharmacien, vient à l’hôtel de Boulogne ; et puis le pharmacien vient le chercher.

« Mais Emma venait de partir, exaspérée ; ce manque de parole au rendez-vous lui semblait un outrage.

« Puis, se calmant, elle finit par découvrir qu’elle l’avait sans doute calomnié. Mais le dénigrement de ceux que nous aimons toujours nous en détache quelque peu. Il ne faut pas toucher aux idoles ; la dorure en reste aux mains.

  1. Pages 388 et 389.