Page:Flaubert - Madame Bovary, Conard, 1910.djvu/640

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primé ; et à entendre M. l’Avocat impérial, le scepticisme règne d’un bout à l’autre dans le livre de M. Flaubert. Où donc, je vous prie, trouvez-vous là un scepticisme ?

M. L’Avocat impérial. — Je n’ai pas dit qu’il y en eût là dedans.

Me Sénard. — S’il n’y en a pas là dedans, ou donc y en a-t-il ? Dans vos découpures, évidemment. Mais voici l’ouvrage tout entier, que le tribunal le juge, et il verra que le sentiment religieux y est si fortement empreint, que l’accusation de scepticisme est une vraie calomnie. Et maintenant, monsieur l’Avocat impérial me permettra-t-il de lui dire que ce n’était pas la peine d’accuser l’auteur de scepticisme avec tant de fracas ? Poursuivons :

« Le dimanche à la messe, quand elle relevait sa tête, elle apercevait le doux visage de la Vierge parmi les tourbillons bleuâtres de l’encens qui montait. Alors un attendrissement la saisit, elle se sentit molle et tout abandonnée, comme un duvet d’oiseau qui tournoie dans la tempête, et ce fut sans en avoir conscience qu’elle s’achemina vers l’église, disposée à n’importe quelle dévotion, pourvu qu’elle y absorbât son âme et que l’existence entière y disparût. »

Ceci, messieurs, est le premier appel à la religion, pour retenir Emma sur la pente des passions. Elle est tombée, la pauvre femme, puis repoussée du pied par l’homme auquel elle s’est abandonnée. Elle est presque morte, elle se relève, elle se ranime ; et vous allez voir maintenant ce qui est écrit : (no du 15 novembre 1856, p. 548[1]).

« Un jour qu’au plus fort de sa maladie elle s’était crue agonisante, elle avait demandé la communion ; et à mesure que l’on faisait dans sa chambre les préparatifs pour le sacrement, que l’on disposait en autel la commode encombrée de sirops, et que Félicité semait par terre des fleurs de dahlia, Emma sentait quelque chose de fort pesant sur elle, qui la débarrassait de ses douleurs, de toute perception, de tout sentiment. Sa chair allégée ne pensait plus, une autre vie commençait ; il lui sembla que son être, montant vers Dieu… » (Vous voyez dans quelle langue M. Flaubert parle des choses religieuses.) « Il lui sembla que son être, montant vers Dieu, allait s’anéantir dans cet amour, comme un encens allumé qui se dissipe en vapeur. On aspergea d’eau bénite les draps du lit ; le prêtre retira du saint ciboire la blanche hostie ; et ce fut en défaillant d’une joie céleste qu’elle avança les lèvres pour accepter le corps du Sauveur qui se présentait. »

J’en demande pardon à monsieur l’Avocat impérial, j’en de-

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