Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/217

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dont l’un est borgne, quatre ou cinq gamins qui les servent, c’est là le christianisme primitif.

Il y a dans ce couvent, de passage, un prêtre abyssinien qui revient de Jérusalem, grand, maigre, yeux en amande, long nez aquilin, belle physionomie, type tout indien ; il souffre de la poitrine et a la maigreur des gens qui meurent de langueur, il s’ennuie beaucoup, regrette son pays, l’Égypte est un enfer pour lui.

Nous causons ensemble d’Abyssinie. La fureur de l’émasculation existe réellement telle qu’on me l’avait dit. Il y a en Abyssinie plus de vingt rois. Dernièrement les Abyssins ont tué une garnison turque entière, qui était dans l’île située en face Massaouah. Il y a, pour les Européens voyageant en petit nombre, du danger dans les montagnes, parce que ces montagnes sont couvertes de forêts affermées pour la chasse de l’éléphant. Il s’étend beaucoup sur le bon marché des vivres de l’Abyssinie. En nous séparant, nous nous souhaitons de revoir nos patries dont nous sommes loin l’un de l’autre. Que Dieu l’ait ramené dans la sienne ! Quant au lien chrétien, il me paraît nul ; le vrai lien est dans la langue : cet homme-là est bien plus le frère des musulmans que le mien.

Je reviens nu-pieds, à cause de mes bottes qui me gênent atrocement. Non loin de la cange, entre Esneh et le palais de Méhémet, je me suis arrêté à regarder les montagnes. Les collines, basses, dénudées, grises, et vues à travers la transparence de la lumière rose étalée sur elles et qui s’apâlissait sur le gris, avaient pour couleur générale un grand ton uni, vaporeusement rembourré