Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/321

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s’expliquer haut. » Max me rejoint et me conte l’affaire, peu satisfait que je ne fusse pas accouru dès que j’ai eu entendu le bruit du pistolet. Il avait peut-être raison, en principe du moins ; mais là, ma meilleure excuse est que je n’y avais pas songé du tout, ne me doutant de rien, et d’ailleurs dès que j’ai eu retourné mon cheval, je les vis venir, et dès lors je les attendis. Nous marchions côte à côte quand une balle passe entre nous deux, près de Max ; j’entends un coup de fusil (et l’idée ne me vient pas encore du danger). Max se retourne, il aperçoit un homme qui nous mire en joue et me crie alors avec une figure expressive : « C’est sur nous qu’on tire, f..... le camp, n… de D… ! file ! file ! » Je le vois s’enlever à fond de train, baissant la tête sur celle de son cheval et saisissant son sabre de la main gauche ; je passe près de Joseph à qui je crie : « Au galop ! au galop ! » Je vois tout son havresac débouliner, son fusil et les pipes tomber, et lui-même faire le mouvement d’arrêter son cheval pour ramasser tout cela (ce qui est complètement faux ; j’ai mal vu, il n’y a eu que mon chibouk de perdu, et encore il était sur la selle d’un sheik). J’entends un second coup de feu, Max me crie quelque chose que je n’entends pas, je le vois fuir comme le vent. Alors je commence à comprendre, saisissant mon sabre de la main gauche, et les rênes de la droite, je me lance dans une course effrénée, sautant tout. C’était d’un charme qui me tenait tout entier, ma seule inquiétude était de tomber de cheval, là pour moi était le danger ; mais j’étais de bronze, je le serrais, je l’enlevais, je le portais au bout du poing ; quelque-