Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/370

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geste de main arabe en répétant : « buono, buono ». J’hésite à coucher. Sassetti dort sur ses arçons ; il a eu un « sacré imbécile de m.... » sublime, adressé aux gens qui ont aidé à monter le bagage et qui nous tenaient des discours. Dans sa fureur de ne pas leur faire comprendre ce qu’il leur disait, il ne parlait rien moins que de « leur f..... des coups de sabre » ; puis, re-calme plat.

On part, deux mulets se f..... dans un trou, ces braves moucres étant, comme toujours, à un quart de lieue de leurs bêtes. Abou-Issa arrive, on procède au sauvetage des mulets (pendant ce temps-là, les deux autres s’égarent, l’âne est en arrière avec Hussein). Pour faire grimper les bêtes au niveau du sentier, il faut aplanir le terrain avec les mains afin d’en diminuer la pente ; néanmoins la mule qui portait les cantines dégringole. Je crie « taïeb », Abou-Issa se baisse et ramasse deux cailloux, les deux cantines tombent, je continue « taïeb kébir ! ». Abou-Issa, un caillou de chaque main, se frappe des deux côtés de la tête de toutes ses forces (son turban s’en défait) en poussant des cris inarticulés où les H et les A dominent, on se remet à flot, et l’on part. La nuit allait venir, il fallait se dépêcher, nous étions encore à une grande heure d’Aden. J’enfourche au trot un sentier qui y conduit, je m’aperçois qu’il me mène au haut de la montagne ; alors je redescends et à travers champs, je me dirige sur le village. Un troupeau de chèvres noires broutait au versant d’une colline, le soleil se couchait dans la mer, et sa grande couleur rouge étalée derrière les montagnes empourprait ce côté du ciel, comme serait la queue du Phénix déployée. Quelques coteaux