Page:Flaubert - Notes de voyages, I.djvu/372

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nèrent à Tripoli. Je demande à mon compagnon s’ils ont, eux, quelque influence sur la vie civile des Maronites ; il me dit : « aucune ». La question était peut-être trop près du fait précédent.

Jalousie du clergé maronite envers le clergé latin, ignorance de ceux qui sont mariés ; ils sont obligés de travailler, d’aller en journées, de là, déconsidération et mépris. Vers 10 heures, le supérieur arrive. Espagnol de façons graves, jolie physionomie brune ; il revient de retraite, portant dans une petite caisse tous les ustensiles sacrés pour officier. Dans ma première visite, nous causons un peu des religions chrétiennes de l’Orient, il me paraît jusqu’à présent plus instruit que tous ses confrères que j’ai vus. Survient le sheik du pays, vilain, blond, couvert d’un beau habar de drap noir brodé d’or, et coiffé d’un turban en soie rouge pointillée d’argent. On cause Druses, il dit quelques bêtises que relève le prieur. Selon ce dernier (on a saisi il y a quelques années, après l’invasion d’un des villages druses, quelques-uns de leurs livres mystiques, écrits en très vieil et pur arabe, et on les a envoyés à Paris), voici en quoi consiste la religion druse, du moins d’après ce qu’on a pu savoir. Dieu créa le Verbe, lequel créa le Bien et le Mal. Le Verbe parfois s’incarne et paraît, maintenant il est caché, peut-être est-il dans le corps d’une bête ou d’un scélérat. Tôt ou tard il réapparaîtra ; s’il vient un très grand homme ce sera lui. Quand Napoléon parut en Orient, les Druses ne doutèrent pas que ce ne fût lui et voulurent l’aller trouver. Leur religion est une espèce de panthéisme très élevé, mêle de beaucoup de cabale. Ils sont plus près du christianisme que les