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NOTES DE VOYAGES.

menés jusque-là par une vieille femme, Marie Lemesier, qui l’a servie, ainsi que M. Necker, pendant quatre ans. (Dans ses dernières années, nous a-t-elle dit, il était très gros, énorme et toujours suivi d’un médecin qu’il avait ramené de Paris.) Au rez-de-chaussée, appartement en carré long, avec une bibliothèque en armoire à grillage et en soies vertes, dont on ne voit pas un livre ; c’était là que Mme de Staël jouait la comédie. Portrait d’un des amis de M. de Staël. — Au premier, le salon, grande et belle pièce. Portrait de Gérard de Mme de Staël, celui qu’on voit en tête de ses ouvrages, en tartan rouge : nez fort, bouche avancée, grosse, sanguine, semblant aimer le vin plus que l’amour, quoiqu’il y ait aussi de la luxure ; œil fier, ardent, intelligent. — Dans une autre salle, portrait de David (jeune), m’a paru vilain. À son côté, celui de M. Necker, en costume xviiie siècle, poudré, lui ressemble un peu ; M. Necker a sa tête un peu renversée, yeux à demi fermés, sans fatuité pourtant. Son fils en manteau, nu-tête ; son mari, homme ordinaire, écrasé par sa femme et qui fait pitié quand on les regarde ensemble ; sa fille, Mme de Broglie. Un abîme entre ces deux femmes : c’est l’artiste d’un côté, et de l’autre la femme comme il faut, la femme honnête dans toute l’étroitesse de ses moyens physiques et moraux. On montre aussi le portrait de M. …, un des grands amis de Mme de Staël. —  À côté du salon est la chambre à coucher où elle a composé une grande partie de ses ouvrages ; petite table noire carrée, espèce de cartonnier, armoire où elle serrait ses manuscrits.

Chambre de M. de Broglie : lit en pente.