Page:Flaubert - Notes de voyages, II.djvu/171

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manches et le capuchon, seulement dans les cas extrêmes. Le premier, jeune homme de vingt ans environ (coiffé comme l’homme de Chéronée), a ses sandales de toile noires de pluie, de vétusté et de crasse ; pendant que l’air s’échappe de sa vessie, il regarde de droite et de gauche, et de temps à autre il abaisse la bouche sur le bout de la flûte engagée dans l’outre pleine. Son compagnon n’a pas plus de 12 ans, il le suit et porte le bissac. Dans une maison voisine, une femme lui donne quelque relief qu’il met dans son sac de toile. Après qu’ils nous ont eu joué leur air, ils partent et le chien se remet à hurler et à les suivre. Pourquoi le vagabond, musicien surtout, me séduit-il à ce point ? la contemplation de ces existences errantes et qui semblent maudites partout (il s’y mêle du respect pourtant) me tient au cœur. J’ai vécu quelque part de cette vie, peut-être ? Ô Bohème ! Bohème ! tu es la patrie de ceux de mon sang ! Il y avait sur eux (les Bohèmes) quelque chose de mieux à faire que la chanson de Béranger. Walter Scott sentait fortement (sous le rapport du pittoresque surtout) cette poésie-là (Édic, O Kiltris, etc.).

En face de nous, dans cette maison : servante bossue avec de gros seins ; de quel côté la prendre si son mari aime les tétons durs ?

Nous sommes logés sans feu ; le fils de la maison, jeune gredin à œil gauche à demi fermé, vient nous regarder et s’assoit sur un coffre, il tâche de voler le bâton de gellab de Maxime et puise sans se gêner dans mon sac à table. Le lendemain matin, la maîtresse fait barouffe avec François, trouvant qu’on ne l’a pas assez payée. Nuit exécrable, presque blanche à cause des puces.