Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/107

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une porte de côté, et chacun y reprit son rang, tandis que dans la sacristie on clouait le mort dans son cercueil. Une pluie fine mouillait l’air, on avait froid ; il faisait gras marcher, et les fossoyeurs, qui n’avaient pas fini, rejetaient avec peine la terre lourde et molle qui collait sur leurs louchets. Au fond, les femmes, à genoux dans l’herbe, avaient découvert leurs capuchons et leurs grands bonnets blancs, dont les pans empesés se soulevaient au vent, faisaient de loin comme un grand linceul qui se lève de terre et qui ondoie.

Le mort a reparu, les prières ont recommencé, les sanglots ont repris. On les entendait à travers le bruit de la pluie qui tombait.

Près de nous sortait par intervalles égaux une sorte de gloussement étouffé qui ressemblait à un rire. Partout ailleurs, en l’écoutant, on l’eût pris pour l’explosion réprimée de quelque joie violente ou pour le paroxysme contenu d’un délire de bonheur. C’était la veuve qui pleurait. Puis, elle s’approcha jusqu’au bord, elle fit comme les autres, et la terre peu à peu reprit son niveau et chacun s’en retourna.

Comme nous enjambions l’escalier du cimetière, un jeune homme qui passait à côté de nous dit en français à un autre : « Le bougre puait-il ! Il est presque tout pourri ! Depuis trois semaines qu’il est à l’eau, c’est pas étonnant ! »[1]En rentrant chez nous, nous avons trouvé notre

  1. Inédit, pages 107 à 109.