Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/14

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de rare en soi-même, mais qui frappe ici, dans cette âme où la volupté s’aiguisait de religion, où la cruauté se ravivait à la peur. Quand nous eûmes passé sous une voûte tournante et traversé la place, nous entrâmes dans la cour intérieure du château. Il y avait grande joie : la garnison avait reçu une bouteille de vin par homme, et les soldats portaient des brocs pleins d’un liquide bleu et s’apprêtaient à le boire à la santé du monarque dont la fête leur occasionnait ce régal. La cour du château est un carré régulier. Le côté de l’entrée, du temps de Louis XII, n’a qu’un seul étage avec une galerie soutenue par des colonnes courtes, couvertes de losanges, et est orné partout de la cordelière de la reine Anne et des hermines de Bretagne ; le côté gauche (sud), un peu antérieur, n’a pas été terminé, il est plus sobre d’ornementation, plus rude, plus reculé dans son moyen âge. En face, un corps de logis des plus bêtes, construction de Louis XIV, jure d’une manière détestable, avec son classique de collège et son goût sobre qui est le goût pauvre ; mais auprès d’elle éclate et reluit en grand costume la belle architecture du xvie siècle, celle de la bonne époque, avant l’envahissement du pilastre attique, avant que la Renaissance n’allât s’aplatir dans le grec abâtardi de Marie de Médicis. Sur ce corps de logis sont accrochés les deux plus délicieux escaliers du monde, bâtis à jour, ciselés d’un ciseau vivace et tout découpés, comme les hautes collerettes des grandes dames qui, il y a