Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/199

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songé » ; si elle continuait : « c’est nécessaire », celle-ci ajoutait : « c’est indispensable ». Et les rapports de rang et d’autorité n’en restaient pas moins, malgré cette adhésion intime, respectivement distincts, nettement établis. Ainsi, le garde élevait la voix moins haut que le commissaire, était un peu plus petit et marchait derrière. Le commissaire, poli, important, beau parleur, se consultait, ruminait à part, causait tout seul et faisait claquer sa langue ; le garde était doux, attentif, pensif, observait de son côté, poussait des interjections et se grattait le bout du nez. Chemin faisant, il s’informait des nouvelles, lui demandait des avis, sollicitait ses ordres, et le commissaire questionnait, méditait, donnait des commandements.

Nous touchions aux premières maisons de la ville, quand nous entendîmes de l’une d’elles sortir des cris aigus. La rue était pleine d’une foule agitée et des gens accouraient vers le commissaire en lui disant : « Arrivez, arrivez, monsieur, on se bat ! Il y a deux femmes de tuées ! — Par qui ? — On n’en sait rien. — Pourquoi ? — Elles saignent. — Mais comment ? — Avec un râteau. — Où est l’assassin ? — L’une à la tête, l’autre au bras. Entrez, on vous attend, elles sont là. »

Le commissaire entra donc, et nous à sa suite.

C’était un bruit de sanglots, de cris, de paroles, une houle qui se poussait et s’étouffait. On se marchait sur les pieds, on se coudoyait, on jurait, on ne voyait rien.