Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/231

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

narrant les anecdotes de gens inconnus, nous rapportant des dialogues entiers, nous entretenant de ses opinions politiques, de ses goûts en cuisine, de sa santé, de son commerce, de ses relations, du prix des denrées, de sa femme, de son beau-père, de son petit chien, de son poêle qui fume. Il s’appelle monsieur Genès, il est fixé à Brest, il fait pour soixante mille francs d’affaires par an ; il a été successivement armurier, soldat, mouchard, inspecteur des filles, concierge du dispensaire et il est maintenant établi, marié, propriétaire et agent d’affaires, c’est-à-dire marchand d’hommes, comme ils appellent ça en Bretagne.

On présumerait qu’une telle existence a dû détremper ses vases sur celui qui l’a traversée et qu’on va s’amuser à les y ramasser à la cuillère, mais non ! rien n’est plus plat, plus nul, plus incolore et plus insipide que M. Genès. Il est bête comme un juge et aussi assommant que la biographie des hommes utiles. Sans se douter le moins du monde de la saleté de son industrie, il se croit fort honnête homme, car il passe tous les marchés qu’il fait par-devant notaire. Il est chaste dans ses propos et rangé dans sa conduite. Son seul goût est l’argent, sa seule prédilection le vin, et sans doute qu’il doit à l’habitude d’en boire cet air somnolent et débraillé dont la bonhomie superficielle atténue l’astuce de ses petits yeux gris et la dureté de ses lèvres minces.

Il n’a pas de vices, il regarde le jeu comme dangereux, les femmes comme pernicieuses. « On