Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/288

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les volontés, une expansion plus complète enfin de la liberté se débattant et tournant sous toutes les fatalités natives ? Aussi avec quel relief l’épisode se détache de l’histoire, et comme il y rentre cependant d’une merveilleuse façon pour en faire briller la couleur et en approfondir les horizons ! Des figures passent devant vous, vivantes en trois lignes ; on ne les rencontre qu’une fois ; mais longtemps on les rêve et on s’efforce à les compléter pour les mieux saisir. N’en étaient-ce pas de belles, entre autres, et de terribles, que celles de ces vieux soudards dont la race disparut à peu près vers 1598, à la prise de Vervins, tels que Lamouche, Heurtaud de Saint-Offrange, La Tremblaye qui s’en revenait portant au poing la tête de ses ennemis, ou ce La Fontenelle dont on a parlé ; hommes de fer dont les cœurs ne ployaient pas plus que les épées et qui, attirant à eux mille énergies divergentes qu’ils dirigeaient de la leur, réveillaient les villes en entrant au galop, la nuit, dans leurs murs, équipaient des corsaires, brûlaient la campagne, et avec qui l’on capitulait comme avec des rois ! Qui a songé à peindre ces violents gouverneurs de province, taillant à même la foule, violant les femmes et raflant l’or, comme d’Épernon, tyran atroce en Provence et mignon parfumé au Louvre, comme Montluc, étranglant les huguenots avec ses mains, ou comme Baligni, ce roi de Cambrai, qui lisait Machiavel pour copier le Valentinois, et dont la femme allait sur la brèche, à cheval, casque en tête et cuirassée.