Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/31

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voudrait savoir si ces gens-là ont aimé comme nous et les différences qu’il y avait entre leurs passions et les nôtres. On voudrait que leurs lèvres s’ouvrissent, pour nous dire les récits de leur cœur, ce qu’ils ont fait autrefois, même de futile, quelles furent leurs angoisses et leurs voluptés. C’est une curiosité irritante et séductrice, une envie rêveuse de savoir, comme on en a pour le passé inconnu d’une maîtresse, afin d’être initié à tous les jours qu’elle a vécus sans vous et d’en avoir sa part. Mais ils restent sourds aux questions de nos yeux ; ils restent là, muets, immobiles dans leurs cadres de bois ; nous passons. Les mites picotent leur toile, on les revernit, ils sourient encore que nous sommes pourris et oubliés. Et puis d’autres viennent aussi les regarder jusqu’au jour où ils tomberont en poussière, où l’on rêvera de même devant nos propres images.

Et l’on se demandera ce qu’on faisait dans ce temps-là, de quelle couleur était la vie, et si elle n’était pas plus chaude.

[1]Il y a, par exemple, deux grands portraits à cheval de MM. de Beauvilliers, l’un amiral, l’autre colonel de cavalerie ; ils sont bottés jusqu’aux cuisses, en grand habit vert, blanchi aux épaules par les tire-bouchons poudrés de leurs perruques, gantés à la crispin, coiffés du petit chapeau, et droits, fichés sur leur grosse mecklembourgeoise

  1. Inédit, pages 31 à 34.