Page:Flaubert - Par les champs et par les grèves.djvu/385

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tout cela veut dire ? Les prophètes, les docteurs et les sybilles qui se suivent méthodiquement dans chaque cadre de bois, sur les parois intérieures, où vont-ils ? et pourquoi faire ? On leur tourne le dos, et la tête levée vers le ciel rencontre involontairement les petits plafonds fleuris où l’œil caresse des formes amoureuses. La Renaissance est là entière avec son enthousiasme scientifique et sa prodigalité de formes, et sa décence exquise dans les nudités où elle s’étudie, dans la corruption. Qu’il y a loin de là au pieux cynisme du moyen âge ! C’est beau, joli, charmant ; on admire de la tête et non du cœur, enthousiasme frelaté qui s’en va vite ; c’est un musée, un beau morceau d’art qui fait penser à l’histoire, un livre en bois où l’on lit une page du xvie siècle, pas autre chose.

Si vous voulez du grand et du beau, il faut sortir de l’église et gagner la montagne, vous élever des vallées et monter vers la région des neiges. C’est une belle vie que celle de chasser l’isard ou l’ours, de vivre dans le pays des aigles, d’être haut comme eux et de leur faire la guerre.

Quand on va au port de Venasque on traverse d’abord une grande forêt de frênes et de hêtres qui couvrent deux montagnes qui se regardent face à face. Les ravins ont enlevé des arbres, et font sur le côté opposé à celui où vous marchez comme des chemins qui serpentent en tombant à travers les bois. C’était le matin, et les lueurs du soleil levant dessinaient les ombres des branches