Page:Flaubert - Salammbô.djvu/211

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laient et un sourire étrange plissait sa figure de chacal.

— Nous recommencerons, ne me quitte plus ! Je ne suis pas fait pour les batailles au grand soleil ; l’éclat des épées me trouble la vue ; c’est une maladie, j’ai trop longtemps vécu dans l’ergastule. Mais donne-moi des murailles à escalader la nuit, et j’entrerai dans les citadelles, et les cadavres seront froids avant que les coqs aient chanté ! Montre-moi quelqu’un, quelque chose, un ennemi, un trésor, une femme…

Il répéta :

— Une femme, fût-elle la fille d’un roi, et j’apporterai vivement ton désir devant tes pieds. Tu me reproches d’avoir perdu la bataille contre Hannon, je l’ai regagnée pourtant. Avoue-le ! mon troupeau de porcs nous a plus servi qu’une phalange de Spartiates.

Et, cédant au besoin de se rehausser et de saisir sa revanche, il énuméra tout ce qu’il avait fait pour la cause des Mercenaires.

— C’est moi, dans les jardins du Suffète, qui ai poussé le Gaulois ! Plus tard, à Sicca, je les ai tous enragés avec la peur de la République ! Giscon les renvoyait, mais je n’ai pas voulu que les interprètes pussent parler. Ah ! comme la langue leur pendait de la bouche ! T’en souviens-tu ? Je t’ai conduit dans Carthage ; j’ai volé le zaïmph. Je t’ai mené chez elle. Je ferai plus encore : tu verras !

Il éclata de rire comme un fou.

Mâtho le considérait les yeux béants. Il éprouvait une sorte de malaise devant cet homme, qui était à la fois si lâche et si terrible.