Page:Flaubert - Salammbô.djvu/281

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honorer comme le prescrivaient les rites : car ils allaient, par cette privation, circuler, durant des périodes infinies, à travers toutes sortes de hasards et de métamorphoses : on les interpellait, on leur demandait ce qu’ils désiraient ; d’autres les accablaient d’injures pour s’être laissé vaincre.

La lueur des grands bûchers apâlissait les figures exsangues, renversées de place en place sur les débris d’armures ; et les larmes excitaient les larmes, les sanglots devenaient plus aigus, les reconnaissances et les étreintes plus frénétiques. Des femmes s’étalaient sur les cadavres, bouche contre bouche, front contre front ; il fallait les battre pour qu’elles se retirassent, quand on jetait la terre. Ils se noircissaient les joues ; ils se coupaient les cheveux ; ils se tiraient du sang et le versaient dans les fosses ; ils se faisaient des entailles à l’imitation des blessures qui défiguraient les morts. Des rugissements éclataient à travers le tapage des cymbales. Quelques-uns arrachaient leurs amulettes, crachaient dessus. Les moribonds se roulaient dans la boue sanglante en mordant de rage leurs poings mutilés ; et quarante-trois Samnites, tout un printemps sacré, s’entr’égorgèrent comme des gladiateurs. Bientôt le bois manqua pour les bûchers, les flammes s’éteignirent, toutes les places étaient prises ; et, las d’avoir crié, affaiblis, chancelants, ils s’endormirent auprès de leurs frères morts, ceux qui tenaient à vivre pleins d’inquiétudes, et les autres désirant ne pas se réveiller.

Aux blancheurs de l’aube, il parut sur les limites des Barbares, des soldats qui défilaient avec