Page:Flaubert - Salammbô.djvu/353

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gros jets écumeux sautaient ; contre les murs il y avait comme des nappes blanchâtres vaguement suspendues, et les toits des temples, lavés, brillaient en noir à la lueur des éclairs. Par mille chemins des torrents descendaient de l’Acropole ; des maisons s’écroulaient tout à coup ; et des poutrelles, des plâtras, des meubles passaient dans les ruisseaux, qui couraient sur les dalles impétueusement.

On avait exposé des amphores, des buires, des toiles ; mais les torches s’éteignaient ; on prit des brandons au bûcher du Baal, et les Carthaginois, pour boire, se tenaient le cou renversé, la bouche ouverte. D’autres, au bord des flaques bourbeuses, y plongeaient leurs bras jusqu’à l’aisselle, et se gorgeaient d’eau si abondamment qu’ils la vomissaient comme des buffles. La fraîcheur peu à peu se répandait ; ils aspiraient l’air humide en faisant jouer leurs membres, et, dans le bonheur de cette ivresse, bientôt un immense espoir surgit. Toutes les misères furent oubliées. La Patrie encore une fois renaissait.

Ils éprouvaient comme le besoin de rejeter sur d’autres l’excès de la fureur qu’ils n’avaient pu employer contre eux-mêmes. Un tel sacrifice ne devait pas être inutile ; bien qu’ils n’eussent aucun remords, ils se trouvaient emportés par cette frénésie que donne la complicité des crimes irréparables.

Les Barbares avaient reçu l’orage dans leurs tentes mal closes ; tout transis encore le lendemain, ils pataugeaient au milieu de la boue, en cherchant leurs munitions et leurs armes, gâtées, perdues.