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XV

MÂTHO.




Carthage était en joie, une joie profonde, universelle, démesurée, frénétique ; on avait bouché les trous des ruines, repeint les statues des dieux, des branches de myrte parsemaient les rues, au coin des carrefours l’encens fumait, et la multitude sur les terrasses faisait avec ses vêtements bigarrés comme des tas de fleurs qui s’épanouissaient dans l’air.

Le continuel glapissement des voix était dominé par le cri des porteurs d’eau arrosant les dalles ; des esclaves d’Hamilcar offraient, en son nom, de l’orge grillée et des morceaux de viande crue ; on s’abordait ; on s’embrassait en pleurant ; les villes tyriennes étaient prises, les Nomades dispersés, tous les Barbares anéantis. L’Acropole disparaissait sous des vélariums de couleur ; les éperons des trirèmes, alignés en dehors du môle, resplendissaient comme une digue de diamants ; partout on sentait l’ordre rétabli, une existence nouvelle qui recommençait, un vaste bonheur