Page:Flaubert - Salammbô.djvu/44

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pides. Ils allaient de droite et de gauche, au hasard, embarrassés par les cordes des tentes, par les bestiaux qui erraient et les trépieds où cuisaient les viandes. Quelquefois une main grasse, chargée de bagues, entr’ouvrait la litière ; une voix rauque criait des injures ; alors les porteurs s’arrêtaient, puis ils prenaient une autre route à travers le camp.

Les courtines de pourpre se relevèrent ; et l’on découvrit sur un large oreiller une tête humaine tout impassible et boursouflée ; les sourcils formaient comme deux arcs d’ébène se rejoignant par les pointes ; des paillettes d’or étincelaient dans les cheveux crépus, et la face était si blême qu’elle semblait saupoudrée avec de la râpure de marbre. Le reste du corps disparaissait sous les toisons qui emplissaient la litière.

Les soldats reconnurent dans cet homme ainsi couché le suffète Hannon, celui qui avait contribué par sa lenteur à faire perdre la bataille des îles Ægates ; et, quant à sa victoire d’Hécatompyle sur les Libyens, s’il s’était conduit avec clémence, c’était par cupidité, pensaient les Barbares, car il avait vendu à son compte tous les captifs, bien qu’il eût déclaré leur mort à la République.

Lorsqu’il eut, pendant quelque temps, cherché une place commode pour haranguer les soldats, il fit un signe : la litière s’arrêta, et Hannon, soutenu par deux esclaves, posa ses pieds par terre, en chancelant.

Il avait des bottines en feutre noir, semées de lunes d’argent. Des bandelettes, comme autour d’une momie, s’enroulaient à ses jambes, et la chair passait entre les linges croisés. Son ventre