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Page:Flaubert - Salammbô.djvu/473

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NOTES

« As-tu eu raison de prendre un substratum historique ? C’est une autre question. Moi je crois que tu as bien fait : ça donne de l’autorité, du poids. Mais si tu avais imaginé tout de fond en comble, tu aurais été moins gêné.

« D’où je conclus qu’il faut bravement accepter le sujet avec ses conséquences et se rappeler que l’Iliade n’est qu’une suite de combats pareils et de situations presque identiques. »

Au mois de juillet 1861, il écrit le treizième chapitre : Moloch, et les mêmes doutes sur l’ensemble de son livre l’accablent et le découragent vraiment. Il envisage des difficultés sur l’exécution du Défilé de la Hache et reprend la fin de la Bataille du Macar pour éviter des redites dans ses descriptions de tueries et de combats. Il se plaint à Feydeau d’une fatigue physique qu’il n’a jamais ressentie. « Carthage aura ma fin si cela se prolonge, » s’écrie-t-il. Un document purement stratégique lui manque pour le chapitre xiv et il compte venir à Paris vers le 15 août ; il l’annonce sous cette forme plaisante à Mlle Bosquet : « Je suis présentement accablé de fatigue, je porte sur les épaules deux armées entières : trente mille hommes d’un côté, onze mille de l’autre, sans compter les éléphants avec leurs éléphantarques, les goujats et les bagages ! Il faut que j’aille a Paris avant le 15 août (toujours pour Carthage). Mais quand je songe qu’on ne tiendra aucun compte de la peine que je me donne, et que le premier venu, un journaliste, un idiot, un bourgeois, trouvera, sans se gêner, quantité de sottises dans ce qui me paraît le meilleur, j’entre dans une mélancolie sans fond, j’ai des tristesses d’ébène, une amertume à en crever… » (Voir Correspondance, III, p. 296.)

Ici commence une période d’irritation : la hâte d’en finir, et cependant Moloch le tiendra jusqu’au mois d’octobre, puis l’effet incertain que produira son livre. Ses lettres à Feydeau, à Goncourt, indiquent cette appréhension, qui domine maintenant dans sa pensée : « Que sera-ce ? que sera-ce ? Je suis à compter tous les jours, car je veux avoir fini en janvier, pour publier en mars. À mesure que j’avance, je m’aperçois des répétitions, ce qui fait que je récris à neuf les passages situés cent ou deux cents pages plus haut, besogne très énervante. Je bûche comme un nègre, je ne lis rien, je ne vois personne ; j’ai une existence de curé, monotone, piètre et décolorée. » (Voir Correspondance, III, page 301.) Voici enfin le Défilé de la Hache ; l’existence du « défilé » est prouvée par une référence que le Ministre de France à Tunis adressa à Flaubert et que nous avons trouvée dans ses notes : « On trouve dans les montagnes de Jaffar, entre Carthage et Utique, une gorge profonde, appelée Tenyet-el-Fez, le chemin de la Hache. C’est peut-être cela que vous cherchez. »