Aller au contenu

Page:Flaubert - Salammbô.djvu/64

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

œuf. Il se rompit. Une moitié forma la terre, l’autre le firmament. Le soleil, la lune, les vents, les nuages parurent ; et, au fracas de la foudre, les animaux intelligents s’éveillèrent. Alors Eschmoûn se déroula dans la sphère étoilée ; Khamon rayonna dans le soleil ; Melkarth, avec ses bras, le poussa derrière Gadès ; les Kabyrim descendirent sous les volcans, et Rabbet, telle qu’une nourrice, se pencha sur le monde, versant sa lumière comme un lait et sa nuit comme un manteau. »

— Et après ? dit-elle.

Il lui avait conté le secret des origines pour la distraire par des perspectives plus hautes ; mais le désir de la vierge se ralluma sous ces dernières paroles, et Schahabarim, cédant à moitié, reprit :

— Elle inspire et gouverne les amours des hommes.

— Les amours des hommes ! répéta Salammbô, rêvant.

— Elle est l’âme de Carthage, continua le prêtre ; et bien qu’elle soit partout épandue, c’est ici qu’elle demeure, sous le voile sacré.

— Ô père ! s’écria Salammbô, je la verrai, n’est-ce pas ? tu m’y conduiras ! Depuis longtemps j’hésitais ; la curiosité de sa forme me dévore. Pitié ! secours-moi ! partons !

Il la repoussa d’un geste véhément et plein d’orgueil.

— Jamais ! Ne sais-tu pas qu’on en meurt ? Les Baals hermaphrodites ne se dévoilent que pour nous seuls, hommes par l’esprit, femmes par la faiblesse. Ton désir est un sacrilège ; satisfais-toi avec la science que tu possèdes !

Elle tomba sur les genoux, mettant ses deux