Page:Flaubert - Salammbô.djvu/76

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

blique les indemnisât de leurs chevaux ; l’un affirmait en avoir perdu trois à tel siège, un autre cinq dans telle marche, un autre quatorze dans les précipices. On leur offrit des étalons d’Hécatompyle ; ils aimèrent mieux de l’argent.

Puis ils demandèrent qu’on leur payât en argent (en pièces d’argent et non en monnaie de cuir) tout le blé qu’on leur devait, et au plus haut prix où il s’était vendu pendant la guerre, si bien qu’ils exigeaient pour une mesure de farine quatre cents fois plus qu’ils n’avaient donné pour un sac de froment. Cette injustice exaspéra ; il fallut céder, pourtant.

Alors les délégués des soldats et ceux du Grand Conseil se réconcilièrent, en jurant par le Génie de Carthage et par les dieux des Barbares. Avec les démonstrations et la verbosité orientales, ils se firent des excuses et des caresses. Puis les soldats réclamèrent, comme une preuve d’amitié, la punition des traîtres qui les avaient indisposés contre la République.

On feignit de ne pas les comprendre. Ils s’expliquèrent plus nettement, disant qu’il leur fallait la tête d’Hannon.

Plusieurs fois par jour ils sortaient de leur camp. Ils se promenaient au pied des murs. Ils criaient qu’on leur jetât la tête du Suffète, et ils tendaient leurs robes pour la recevoir.

Le Grand Conseil aurait faibli, peut-être, sans une dernière exigence plus injurieuse que les autres : ils demandèrent en mariage, pour leurs chefs, des vierges choisies dans les grandes familles. C’était une idée de Spendius, que plusieurs trouvaient toute simple et fort exécutable.