Page:Floréal (Journal hebdomadaire) du 1er mai 1920.djvu/20

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— Si tu n’as pas confiance en un homme d’honneur, je te tourne le dos, dernier venu de la portée d’une truie, cria-t-il… Allons ! fit-il, revenu soudain à sa mansuétude première, un pari loyal ! Quinze jours, cinq cents dollars !

Je lui promis solennellement de lui verser la somme. Il me fit jurer sur une demi-douzaine d’images crasseuses qu’il extirpa de la ceinture cachée sous sa robe, d’une cartouchière où voisinaient la navaja et le poignard… Quinze jours après, heure pour heure, il revint. Il me montra le défilé d’un doigt impérieux :

— Fais travailler tes hommes ! Il ne leur sera fait aucun mal !

J’étais sceptique. Il insista :

— Garde-moi comme otage ! Et si une tête tombe, que la mienne tombe aussi !

Son accent convainquit ma troupe. Et, sans aucune difficulté, le rail fut conduit jusqu’à Orracil.

— Vous dites, madame ? fit l’ingénieur à une curieuse. Non, ce n’était pas un homme de José-Maria. Que pouvaient cinq cents dollars sur l’héritier du Tempranito ? Il en glanait plus de mille chaque semaine. Non. Voici tout simplement comment le moine « eut » le bandit.

José-Maria qui rançonnait toutes les femmes, protégeait spécialement une hacienda florissante, celle d’une jeune veuve, la belle Assomption. Vous devinez pour quelles convoitises ! Donc, notre moine, après m’avoir arraché mes serments, se dirigea vers cette maison où on l’accueillit avec tout le respect dû à sa robe. Il se fit servir un repas à tuer douze nègres, but trois outres de vin et se mit à confesser tout le monde. Quand le tour d’Assomption arriva :



— Ma fille, lui dit-il, des hérétiques assassins de notre Mère bien-aimée veulent construire un chemin de fer dans le pays. C’est la fin de nos mœurs patriarcales ! Toutes les señoras de la région qui ne voulaient pas meurtrir leur douce peau durant quatre jours afin de gagner la ville pourront s’y rendre en quelques heures avec les machines du diable ! Ah ! les villes ! les jolis amoureux aux balcons, les sérénades, le théâtre, les marchandes de dentelles, les sirops glacés… Damnation ! Damnation ! Usez de tout votre pouvoir, ma fille, sur le caballero José-Maria pour qu’il empêche l’enfer de mener là-bas, en soufflant sa fumée, les créatures du vrai Dieu !

Ce conseil donné, il renchérissait sur les agréments des fêtes citadines. Sa mimique extraordinaire peignait la langueur des coquettes à la promenade, la poursuite des cavaliers, la remise des cadeaux, le lancer des baisers et des bouquets, le délice des gâteaux, la splendeur des toilettes, le jeu des acteurs. Assomption pâlissait d’envie. Après trois jours de ce supplice de Tantale, elle gémit, doucement :

— Et qu’arriverait-il, Père, si José-Maria laissait construire le chemin de fer ?

Le moine tonna :

— Toutes les dames et la dame Assomption ici présente iraient rôtir sur un gril plus grand que celui du pieux Laurent et à un feu beaucoup plus vif !

— Même si l’on fait une belle offrande ? insista la jolie veuve.

— Alors, dit nettement le religieux, ce sera deux cents dollars payés en une seule fois.

Assomption courut à son tiroir. Le moine empocha. Le soir même, une lettre allait surprendre José-Maria dans son repaire. Vous devinez la suite.

— Qu’est devenu le moine ? demanda l’une des auditrices.

— Avec mon argent, dit Baxwell, mon argent et celui de la veuve, il a acheté des fusils et recruté une bande. C’est lui, maintenant, qui opère dans le secteur de José-Maria qu’il a détrôné. Ne vous étonnez pas trop si l’on arrête votre train quand vous irez admirer les célèbres cascades d’Orracil.


Jean pellerin.

POUR VOTRE BIBLIOTHÈQUE

Un livre de choix : Adam et Ève, par Ch. Oulmont (Éditions de la Sirène). Je regrette de n’avoir que quelques lignes à consacrer à cette œuvre vraiment originale.

M. Oulmont est un esprit raffiné qui a horreur de la facilité. Il n’a pas craint d’affronter un sujet rempli d’obstacles et de pièges. J’en connais certains et non des moindres qui ont tourné autour sans oser l’aborder. Cette période compliquée qui précède l’étreinte, ces chemins tortueux que parcourent l’homme et la femme avant de se rejoindre, ces élans qui se contiennent, ces corps qui s’appellent et qui sont arrêtés par la raison, cet orgueil qui empêche deux êtres qui s’aiment de se faire l’aveu réciproque, d’être simples, leur incertitude mutuelle, ce martyre qu’ils s’imposent avec une sorte de frénésie qui n’est pas sans volupté, tous leurs raisonnements sans raison, toutes leurs vaines subtilités ne pouvaient être décrits que par un auteur doué des qualités les plus rares et, en premier lieu, l’observation. C’est là la qualité essentielle. D’autres aussi la possèdent, mais ils l’ont exercée sur des sujets plus simples. Ici, il a fallu la posséder à un degré supérieur.

Ce livre est précieux. Le labeur et la puissance de psychologie qu’il a nécessités en imposent. La recherche est patiente. Aucun détail n’est omis. L’étude va jusqu’aux replis les plus cachés. L’effort est énorme.

Le fond, et c’est bien le point capital, est donc excellent. La forme s’adapte assez bien, mais le lecteur la néglige (il ne s’arrête même pas devant la précision de certains paysages) pour accompagner l’auteur dans sa marche, rendue lourde peut-être par les difficultés, mais sûre. On s’incline devant la qualité des mérites de cette œuvre que bien peu, parmi les contemporains, auraient pu réaliser, s’il s’en fût trouvé pour oser l’entreprendre.

M. castaing.


— Nous venons de recevoir de Belgique un livre tout à fait remarquable. Le titre ? La « Mort de Petite Blanche ». L’auteur ? Jean Tousseul. C’est pour nous une véritable révélation. Nous en parlerons prochainement.

— Nous ne saurions trop recommander, à tous ceux qui veulent entrer enfin dans la voie des réalisations, la lecture d’un ouvrage qui vient de paraître et qui présente le plus grand intérêt ; « L’Organisation des Techniciens par U.S.T.I.C.A. » (Union syndicale des Techniciens de l’Industrie, du Commerce et de l’Agriculture). Cet ouvrage renseigne sur l’U.S.T.I.C.A. ; étudie la défense professionnelle et le placement des techniciens, précise leur rôle dans la société. Vous le trouverez 21, rue de Presbourg, au prix de 1 fr. 50.