Page:Floréal (Journal hebdomadaire) du 20 novembre 1920.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

LE MÉTAL

HISTOIRE D’IL Y A VINGT MILLE ANS, par R. DUNAN


Les hommes qui devaient, plus tard, exhumer ce qu’ils nommèrent par dérision la Vénus de Brassempouy ne se figurèrent point qu’ils possédaient l’Aphrodite de leurs aïeux magdaléniens. Jambes ramassées, arrière-train trop court, thorax rectangulaire, la femelle idéale de ces époques laborieuses ne donnait aucune idée des chefs-d’œuvre de l’art à venir. Ainsi cette rythmique de ligne, cette volute sans cesse enroulée et déroulée que constitue la belle démarche, cette sveltesse et cette sphéricité de formes, ajustées en lignes insaisissables, tout ce qui fait la beauté pour les humains de notre temps, les femmes qui le possédèrent furent méprisées comme informes et infirmes. Il fallut que les peuples élégants et vieux, fussent fondus avec d’autres brutes et laids, mais neufs, pour que vînt se manifester enfin, dans la variété des formes croisées, une tendance compréhensible vers la grâce. Les métallurgistes, ignorants de l’art, avaient un admirable désir de s’initier, de connaître, d’assimiler. Les Magdaléniens, eux, semblaient avoir épuisé leur naturelle délicatesse. D’avoir tant sculpté, poli, gravé la pierre, ils avaient, avec la science infuse d’un travail devenu désormais inutile, acquis une sorte d’indifférence pour leurs œuvres artistiques. Les admirables visions d’animaux, sautant, courant, broutant, qu’ils nous ont léguées n’étaient plus pour eux que des divertissements et des jeux. Ainsi se succédaient les porteurs de flambeaux.

Ce fut au pied du rocher où les hommes de la forge reposaient, que naquit la première inquiétude avec la guerre sa fille. Les Magdaléniens erraient sans but précis. Ils avaient découvert des odeurs étranges, dont un relent de feu, et cela surexcitait leurs craintes, mais leur odorat, habitué depuis des siècles à des atmosphères sèches, n’avait jamais pu contrôler et discerner avec précision les remugles mélangés aux atmosphères chargées de vapeur d’eau. Puis, ils avaient on ne sait quelle confiance en eux, venue de ce que le soleil avait été visible le matin, alors que depuis tant d’années, seule la pluie et les nuages qui la contiennent constituaient leurs horizons.

Un des forgerons se leva soudain d’une rythmée et sans aucun bruit, les cinq autres l’imitèrent. Il saisit une sagaie étendue à son côté, cambra violemment le torse en arrière, tourna sur la jambe gauche et se redressa comme un cranequin qui se détend. La sagaie partit, s’enfonça avec un friselis dans la masse feuillue et heurta un objet dur et inconnu avec un bruit mat. Trois des autres hommes imitèrent d’un seul coup le même geste, chacun avec une arme spéciale, flèche, masse métallique lancée par un jet de bras. Tout cela suivit la sagaie et le silence revint. Alors, les hommes du métal s’écartèrent en deux troupes sans rien dire et se jetèrent à gauche et à droite. Ils couraient à l’émanation humaine perçue par le premier d’entre eux.

Trois forgerons se trouvèrent soudain devant un des deux Magdaléniens aux aguets. Celui-ci se leva, brandit une énorme hache de silex emmanchée d’une massive branche de chêne et l’abattit sur le premier assaillant. Malgré la rapidité de ses réflexes, l’autre n’eut pas le temps d’éviter le choc ; sa massue à pointes de métal quitta son poing et son masque atrocement broyé devint une masse sanguinolente. Il roula assommé. Celui qui suivait mit le pied sur la souche derrière laquelle le Magdalénien s’était dressé, et s’éleva à son tour en brandissant un épieu dont la pointe luisait. Mais il s’affaissa soudain. Le second Magdalénien sortant du fouillis des branches avait propulsé une sagaie dans le flanc de l’assaillant. La pointe pénétra avec un bruit de marteau frappant une branche pourrie, le manche tremblait comme une corde tendue. Dans un hoquet d’agonie, l’homme chut. Le dernier des forgerons restait, en arrière, sur la défensive, mais entendant d’autres bruits, les deux Magdaléniens, avec un cri bref, se jetèrent dans la sylve, l’un d’eux emportait en trophée la massue à protubérances métalliques de l’ennemi vaincu.

La poursuite s’organisa. Les hommes du métal restaient quatre : tenaces et violents, ils se lancèrent à la poursuite des Magdaléniens. Mais ceux-ci avaient