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LES COULISSES DE L’ANARCHIE

Quiconque est passé du radicalisme au socialisme, du socialisme vague à la doctrine spéciale du parti ouvrier, du parti ouvrier à l’anarchie, porte en lui deux êtres inégalement doués, inégalement armés, deux êtres aussi contradictoires, aussi hostiles, aussi nuisibles l’un à l’autre que les deux héros racontés par Théophile Gautier dans son Chevalier double. Il se compose de l’homme bleu, patriote et bourgeois, conservant par atavisme une appétence instinctive du pouvoir politique, une indéfinissable ambition vers la gloriole qui distingue et qui excepte ; — puis aussi un personnage neuf, hypnotisé par la lumière encore trouble des vérités futures, un héritier involontaire, inconscient de P.-J. Proudhon qu’il n’a pas lu, de Bakounine qu’il n’a pas lu, de Karl Marx qu’il ignore, de Lassalle, dont le nom le surprend comme une énigme, — et qui semble, à notre époque, le produit d’une floraison bizarre, inattendue, fatale, comme ces sauvageons éclos aux fentes des vieux murs, dans les fondations ou sur les ruines d’un édifice écroulé.

Dans des terrains anciens, au plus profond des couches bourgeoises, dans l’humus des corporations et des métiers, sur le sol des jurandes et des prudhomies épuisé par les corvées, les aides, les révoltes, croit la fleur farouche du parti rouge, fraîche d’une fraîcheur d’aube, rouge d’un reflet pourpre de flamme, vivante d’une vie mystérieuse qui pompe sa sève au néant même du passé.

L’anarchiste — en tant qu’homme nouveau — ne