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Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/119

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un grand nègre étendu à ses pieds, et dont le visage était tout en sang. Je fis un mouvement pour aller défendre, contre son oppresseur, ce nègre dont l’esclavage paralysait les forces.

Le consul chargea M. David de nous expliquer pourquoi il battait son esclave : le nègre était voleur, menteur, etc., etc. ; comme si le plus énorme des vols n’est pas celui dont l’esclave est victime ! comme s’il pouvait exister une vertu pour qui ne peut avoir une volonté ! comme si l’esclave devait rien à son maître et n’était pas, au contraire, en droit de tout entreprendre contre lui !

Non, je ne saurais dépeindre quelle douloureuse impression cette vue hideuse produisit sur moi. Je m’imaginais voir ce misérable Tappe au milieu de ses nègres. Mon Dieu ! pensai-je, M. David aurait-il raison ! les hommes seraient-ils tous méchants ? Ces réflexions bouleversaient mes idées morales, et me plongeaient dans une noire mélancolie. La défiance, cette réaction des maux que nous avons soufferts ou dont nous avons été témoins, ce fruit âcre de la vie, naissait en moi, et je commençais à craindre que la bonté ne fût pas aussi générale que je l’avais pensé jusqu’alors. En allant chez madame Watrin,