Page:Flora Tristan - Peregrinations d une paria, 1838, I.djvu/148

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âge qui auraient eu à vivre avec une jeune femme dans l’intimité de la vie de bord, et cela pendant cinq mois.

Je crois qu’en mer le cœur de l’homme est plus aimant : perdu au milieu de l’Océan, séparé de la mort par une faible planche, il réfléchit sur l’instabilité des choses humaines ; sa vie passée se déroule devant lui, et, parmi les sentiments qui l’ont agité, il n’en voit qu’un seul dont il lui reste quelque chose, qui ait encore pour lui des souvenirs de bonheur : c’est l’amour. L’homme, prêt à quitter la vie, reconnaît tout le vide de l’ambition, toute la stérilité de la gloire ; il sent l’ennui naître des grandeurs et la satiété des richesses. Mais l’impression des amours de sa jeunesse répand des charmes jusque sur les derniers instants de son existence. Il croit instinctivement qu’il retrouvera dans un meilleur monde les êtres qui ont eu ses affections. À bord, les êtres tendres et religieux ont le cœur plus aimant, la foi plus vive : isolé de toutes les sociétés de la terre, en présence de l’éternité, on sent le besoin d’aimer et de croire, et ces deux sentiments s’épurent de tout mondain alliage.

M. Chabrié était un de ces êtres ; il avait pris